Incertitudes knightiennes

Publié le 10 Novembre 2013

----Comment ne pas se référer au célèbre économiste américain nommé Frank Knight quand il est question aujourd'hui d'un flou collectif sur le plan économique, politique, financier et social ? L'absence de cap et de prévisibilité peuvent faire remonter à la surface les vieilles théories knightiennes relatant de l'incertitude, de l'avenir non mesurable, non évaluable. En effet, les dernières et nombreuses nouvelles économiques et financières ont provoqué plus de surprise qu'autre chose.

 

  • Les marchés financiers sur le devant de la scène

 

----Ces dernières semaines furent agitées. Les analystes tout comme l'ensemble des agents économiques eurent les yeux rivés sur l'évolution des marchés financiers. Bien que ces derniers fassent généralement l'objet de toutes sortes de polémiques, ils font surtout énormément parler d'eux ; nous n'avions qu'une seule question en tête avant et après chaque publications statistiques ou allocutions : « Comment vont réagir les marchés ? ». Des réponses ont été apportées avec des anticipations plus ou moins bonnes pour une grande majorité mettant une fois de plus la notion de « cupidité » et d'« amoralité » des marchés au centre des interrogations. Mais pas seulement, cette tempête sur les marchés des devises, des matières premières ou encore sur les principaux indices boursiers a fait surgir des craintes sur la forte dépendance et l'importance de la finance. Un grand nombre d'entreprises voient l'évolution de leur revenu entre les mains des markets – on retiendra les publications revues à la baisse après un euro surévalué – Marchés que l'on aime haïr, palais de la démesure, de l'illusion où tout dépend de la capacité d'anticipation mais pourtant si indispensable et ancré dans nos économies, n'en déplaisent à certains. Bref, beaucoup d’événements tels que le shutdown, le plafond de la dette, le FOMC, la BCE , les publications statistiques ont permis aux investisseurs de rester focalisés sur l'évolution des paires majeures – l'euro-dollar – mais également les paires croisées majeures – les devises par rapport à l'euro notamment – Aujourd'hui, le mauvais temps est passé - pour une durée inderterminée -, les marchés se tournent donc les pouces en attendant de prochaines publications, allocutions ou dégradations #bim. Pendant ce temps, les dirigeants européens et américains mettent tout en œuvre pour éviter la noyade collective.

 

  • L'union et la supervision bancaire

 

----L'union bancaire, le seul et grand pilier manquant pour assurer une zone monétaire européenne pérenne semblerait-il. La volonté unanime de créer une monnaie unique, d'en assumer la souveraineté, l'élargissement au détriment de l'approfondissement et des conséquences liées à cette précipitation revient inévitablement à évoquer le recourt à une supervision, d'une gouvernance voire d'une sorte de « Trésor européen ». C'est le but de l'union bancaire. Créer un fond unique de résolution visant à casser la dépendance étatique aux problèmes du secteur bancaire sans modification des traités. Ce projet inclut la supervision par la Banque Centrale Européenne mais aussi par des autorités compétentes de l'Union Européenne. Le but paraît à première vue très simple (assurer la sécurité et la solidité du système bancaire européen, renforcer l'intégration financière et la stabilité tout en minimisant les coûts des faillites bancaires dès 2014) mais les négociations le sont beaucoup moins à l'heure actuelle. Les cibles seront de toute évidence les institutions de crédit les plus influentes de la zone monétaire en fonction de la valeur de leurs actifs – bilan - , l'importance de l'économie du pays dans lequel elles se trouvent, leurs activités à l'étranger et leur dépendance aux aides – FESF, MES notamment – De quoi susciter de nombreuses craintes outre-Rhin. Vitor Contâncio – vice président de la BCE – a déclaré le 5 novembre 2013 que la priorité – malgré le retard – est de trouver une méthode de régulation adéquate qui combinerait stabilité et efficacité. En somme « The most important lessons we can take from the crisis is the importance of building a genuine banking union ». Le message est donc clair « Drawing the right lessons for the euro area »

 

  • Forward guidance

----Ce terme n'est plus spécifique à la Federal Reserve. Le Forward guidance est assimilable à la notion de transparence. Ce jeudi, les marchés attendaient avec beaucoup d'impatience le discours de super Mario avec des attentes très hétérogènes. Certains ont eu raison d'anticiper le « rate-cut » et d'autres, un simple discours laissant à penser qu'un Long Term Refinancing Operation serait imminent. Résultat, le taux d'intérêt directeur a été réduit d'un quart de point le ramenant à 0.25 % afin de relancer l’octroi de crédit, de mettre fin à un euro « pas franchement surévalué », relancer l'inflation aujourd'hui très loin des 2 % - cf. graphiques- mais également réduire la volatilité de l'EONIA qui est la référence du prix de l'argent au jour le jour sur le marché interbancaire européen. La probabilité que la Banque Centrale Européenne utilise d'autres armes est loin d'être nulle, on retiendra la phrase suivante : « With a view to some possible action in the future ». Côté américain, l'impasse est facilement observable. Les limites de la soif pour l'excès de liquidité commencent à se faire sentir. Alors que la réduction du Quantitative Easing (3) avait été finalement annulée mi-septembre au vue de la fragilité de l'économie, les marchés avaient goutté à un excès d'euphorie éphémère et artificielle que j'avais qualifié de « montée aux enfers ». Aujourd'hui, étonnamment, les statistiques américaines récemment publiées laissent à penser que les États-Unis renoueraient plus rapidement que prévu avec la reprise certes fragile, mais bien présente. But, « good news is bad news », seemingly. Les signes de reprises sont là … sur fond de craintes des marchés sur une possible opération Tapering plus tôt que prévu par la Federal Reserve mettant ainsi l'évolution des marchés en contraction avec la situation économique du pays. Amoralité, cupidité ? On pensait les markets psychologiquement préparés mais apparemment l'avenir nous réserve beaucoup de surprises … et de caprices boursiers. Les banques centrales ont certes le pouvoir de déclencher une pluie de liquidité mais la sonnette retenti, la récréation est terminée. 

 

Variation de la paire EURUSD sur trois mois – source : boursorma

      

Variation du taux de l'IPCH – Étude de Paul Krugman (2013)

 

----Pour estomper les inquiétudes générales sur les futures orientations de chaque région du monde, il va falloir se fixer un cap sur le long-terme, une feuille de route en favorisant le débat public. Les politiques économiques nationales influent sur la sphère européenne voire mondiale. Quand on observe une Allemagne qui ralentit les négociations sur l'union bancaire faute d'intérêts personnels suffisants, l'absence de cap sur la politique fiscale française – qui d'ailleurs a été sanctionnée par l'agence de notation Standard and Poor's - ou les nombreuses contestations dans les pays méridionaux – Grèce, Portugal - alors que de nouveaux programmes d'austérités sont signés, on peut en déduire qu'il va falloir prendre conscience que la finalisation de cette union monétaire inachevée et très divisée ne se fera pas qu'avec une simple union bancaire. La dimension sociale, la préservation du tissu social est primordiale. Par ailleurs, en ce qui concerne la vision de long-terme, les effets d'une possible réduction du QE(3), l'impact des mesures non conventionnelles des banques centrales, l'évolution du chômage des jeunes, des réformes fiscales, des mesures d'austérités relevant du « zombie economics » ou encore des effets d'une économie de bulle sur le continent asiatique ne peuvent être mesurables. La prise de conscience est certes là, mais espérer une guérison dans l'immédiat quand on a eu un comportement laxiste dans le temps paraît ésotérique. F. Knight, je vous invite à vous retourner dans vôtre tombe. 

Rédigé par Eco-euro

Publié dans #économie, #finance, #europe, #euro

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